Marée de plastique au monde de demain
Le plastique, c'est fantastique ?
En 1957, le Tomorrowland de Disney a ouvert une nouvelle attraction: La Maison en Plastique du Futur, présentée par Monsanto.[1] Véritable aimant pour le public, elle a accueilli quelque 20 millions de visiteurs au cours de ses dix années d'exposition. Avec BASF, Monsanto était l'un des principaux fabricants de plastiques et de matériaux synthétiques de l'après-guerre. Le polyester fut salué avec optimisme comme héraut d’un avenir radiant et sans nuages… Grâce au pétrole, ressource apparemment inépuisable, au savoir-faire et à la technologie modernes, l'industrie avait rendu le plastique universellement disponible et bon marché.
Lorsque la capsule d'habitation futuriste a été détruite en 1967, elle s'est avérée être un symbole des problèmes que le plastique allait créer quelques décennies plus tard: boules de démolition, chalumeaux, tronçonneuses et marteaux-piqueurs n'ont pas réussi à la démonter. Les boules de démolition rebondissaient sur la structure super solide. Ce n'est qu'avec des chaînes broyeuses qu'il a été possible de détruire la maison modèle et de la réduire en petits morceaux.
Indestructible
Quelque 50 ans plus tard, nous sommes confrontés à des images totalement différentes de la nature indestructible de ces matières synthétiques.
Des sachets en plastique par millions ondulant dans l'océan comme un gigantesque banc de méduses. Des boules de polystyrène dans les entrailles des poissons et des cétacés. Une tortue étranglée par une fermeture de six-pack. Ces images choquantes ont fait le tour du monde, révélant les dégâts de la pollution plastique sur l'environnement. Aujourd'hui, une tonne de déchets plastiques finit dans l'océan toutes les trois secondes. Depuis l'époque de la Maison en Plastique du Futur, la production de plastique a été multipliée par deux cents. Et le 80 à 90% de cette production est devenu déchet. Tous les pays occidentaux expédient leurs détritus plastiques – il s’agit de notre recyclage ménager - vers l'Asie du Sud-Est et l'Afrique, où les décharges à ciel ouvert pullulent.[2]
Ironiquement, ce que les boules de démolition et les marteaux-piqueurs n'ont pas pu faire, les rayons ultraviolets, l'usure et les réactions chimiques y parviennent très bien, malheureusement à notre détriment. Ces interactions produisent des morceaux de matière de plus en plus petits, jusqu'à ce qu'ils deviennent des microplastiques. À ce stade, il est presque impossible de s'en débarrasser, et ils agrègent d’autres polluants. Ils démontrent à nouveau leur nature presque indestructible et s’infiltrent dans tout notre environnement.
Mais ce n'est pas tout: le plastique est aussi une cause majeure du changement climatique.
Les matériaux synthétiques, gros émetteurs de CO2
Le Center for International Environmental Law (CIEL), une organisation américaine d'intérêt public et de droit environnemental, a récemment révélé qu'en 2019, la production et l'incinération de plastique ont ajouté plus de 850 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, soit presque autant que ce que l'Allemagne seule a émis cette même année. "Si la production et l'utilisation de plastique se développent comme prévu actuellement, d'ici 2030, les émissions pourraient atteindre 1,34 gigatonne par an", a déclaré l'organisation.[3]
Le plastique est à 99% d'origine fossile. Il est fabriqué à partir de naphte, un liquide issu de la distillation du pétrole, ou d'éthane, que l'on trouve dans le gaz naturel. Pour produire des plastiques, le secteur pétrochimique utilise du pétrole et du gaz, à la fois comme matières premières et comme énergie, ce qui en fait l'industrie la plus gourmande en énergie au monde.
"Nos économies sont fortement dépendantes de la pétrochimie, mais le secteur reçoit beaucoup moins d'attention qu'il ne le devrait", déclarait déjà en octobre 2018 Fatih Birol, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). La pétrochimie est l'un des principaux angles morts du débat mondial sur l'énergie, surtout si l'on considère l'influence qu'elle aura sur les tendances énergétiques futures."[4] L'agence estime que les produits pétrochimiques mondiaux devraient croître d'un tiers entre 2020 et 2030.
Plus de production signifie plus de pollution
À ce rythme, plus d'un milliard de tonnes de plastique par an inonderont la planète, et le pétrole finira par être utilisé davantage pour fabriquer du plastique que comme carburant. "Presque toutes les nouvelles capacités de raffinage en cours de développement intègrent désormais des procédés pétrochimiques. Cela semble faire partie d'une stratégie à long terme visant à la fois à rechercher des marges supplémentaires et à se prémunir contre le risque perçu d'un pic de la demande mondiale de pétrole", écrit l'AIE.
Pour tirer le meilleur parti du pétrole, l'industrie s'appuie sur une technique de raffinage innovante : le "crude oil-to-chemicals" (COTC). Qualifié de "technologie révolutionnaire" par l'agence économique américaine, ce procédé permet de convertir directement jusqu'à 70% d'un baril de pétrole brut en dérivés pétrochimiques, alors que les raffineries classiques ne parviennent à en extraire qu'environ un cinquième.
Fin 2015, alors que l'accord de Paris sur le climat était en cours de finalisation, une usine géante située à Jubail, ville pétrolière de l'est de l'Arabie saoudite, a commencé à produire du polyéthylène - le composé chimique à la base de la plupart des matériaux plastiques courants. Dans cette raffinerie saoudienne, détenue conjointement par la compagnie pétrolière Aramco et le géant chinois de la chimie Sinopec, les deux entreprises pourront produire deux à trois fois le volume de plastique produit par leurs complexes de raffinage actuels.
L'avenir hier et aujourd'hui
En résumé, alors que l'humanité a moins de dix ans pour réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre, l'industrie pétrochimique investit des milliards de dollars dans des technologies qui aggraveront deux de nos plus gros problèmes: la marée de plastique et les émissions de CO2.
Ne serait-il pas temps d'imaginer dès aujourd'hui une nouvelle maison du futur? Une maison construite avec beaucoup moins de matériaux émettant du CO2, et qui, si elle est laissée à elle-même pendant une longue période après avoir rempli sa fonction, serait simplement déconstruite lentement par les bactéries et les champignons?
En attendant d'en arriver là, et heureusement de nombreuses entreprises y travaillent, une façon simple de faire la différence est de commencer par notre propre garde-robe. N'oublions pas que dans l'ensemble, les deux tiers - quand ce ne sont pas 100% - de tout vêtement produit dans le monde sont des polymères synthétiques, il faut donc être sélectif. Nous pouvons décider maintenant de ne pas bourrer nos armoires de fringues synthétiques, mais de rechercher des alternatives naturelles chaque fois que nous avons besoin de quelque chose.
[1] Exposition au Vitra Design Museum, Weil am Rhein
[2] Mickaël Correia (2022). Why the future can’t be plastic. Le Monde diplomatique.
[3] CIEL (2019). Plastic & climate: The hidden cost of a plastic planet. Center for International Environmental Law. Disponible ici
[4] IEA (2018). The Future of Petrochemicals. Towards a more sustainable chemical industry. Technology report. International Energy Agency. Disponible ici