Plastique psychédélique: Hallucination
Là, un article si court qu’on pourrait le confondre avec un encart publicitaire. Et pourtant, moins de 200 mots lui suffisent à anéantir un mode de vie. The Throwaway Living, ou, l’art de vivre est celui de jeter. L’en-tête chantonne: “Il faudrait 40 heures pour nettoyer ces objets …mais la ménagère n’a pas à s’en inquiéter”. La vie moderne s’amuse déjà à chambouler la perspective. Les objets flottent comme des satellites, une famille en orbite autour d’une poubelle, et les questions s’accumulent. D’où viennent ces objets ? Est-ce la famille qui les jette dans les airs depuis la poubelle pleine à craquer ou est-ce la manne des dieux modernes qui tombe du ciel ? Qui va sortir cette poubelle ? La sortir où ? Et pourquoi y’a-t’il des canards ?
Pendant ce temps, la Terre accomplit ses pirouettes autour du soleil, dans une ronde qui s'agrandit. Une chienne, puis un Russe souriant et plus tard deux Américains aux pieds légers. La fillette du magazine a grandi elle aussi, la tête dans les étoiles. Mais bientôt la fumée va se dissiper sur Cap Canaveral, et dévoiler sous ses yeux embrumés un monde méconnaissable. Pas d'atterrissage en douceur, le règne du plastique a établi ses quartiers, et ça ne fait que commencer.
Peu après, un nouveau visage apparaît sur les écrans TV, entre une publicité pour une cire miraculeuse et les nouvelles du soir. Un chef Indien nommé Iron Eyes Cody, remonte un fleuve en canoë. Plus il avance, plus les déchets s'amoncellent, jusqu’à ce qu’il arrive sur une autoroute bruyante, congestionnée par les détritus. Impuissant, il assiste à la destruction de son espace de vie. Alors qu’une unique larme traverse le visage minéral d’Espera Oscar de Corti (son vrai nom), une voix solennelle conclut : “Ce sont les gens qui polluent, ils ont le pouvoir d’y mettre un terme.” Le message de l’Indien qui Pleure sonne l’heure du réveil, celle de prendre ses responsabilités. Le Throwaway Living arrive à maturité, et il sent le rance. Il est grand temps de sortir les poubelles. Mais tandis que l’Indien continue de pleurer ses larmes de glycérine, les décharges s'agrandissent. Il est trop tard, le chapeau du magicien a épuisé ses tours, et les lapins n’ont aucune intention d’y retourner.
Panem et Circenses
La pression monte pour le plastique. Un public de plus en plus sensible à la préservation commence à demander des comptes. Le monde a besoin d’une idée bien fraîche et pas trop cuite. Le rideau se lève donc, pour l’acte 2 de la Tragédie du Plastique. Entre la bonne idée. Qu’on l’intitule circularité ou efficacité industrielle, l’histoire du recyclage parle à toutes les audiences. Les années 80 sont déjà bien entamées quand un petit triangle fait son apparition à l’arrière des plastiques. Il s’agit du code d’identification des résines, formé de flèches tournantes de lettres et de chiffres. Il s’accompagne d’une promesse silencieuse : “si vous triez vos plastiques, nous les recyclerons, et rien d’autre ne changera.”
Plus de 3 décennies ont passé sous la même rengaine, et effectivement, rien n’a changé. Nous avons suivi les règles, appris à trier les déchets et éduqué nos enfants à le faire à leur tour. Et pourtant, les années s’enchaînent sous le signe du plastique. Des cargos de déchets reviennent vers les côtes de l’Occident, refusés par des mains épuisées de traiter les problèmes des autres. Plus on creuse et plus on en trouve. Alors ce recyclage ?
Il s’avère que la belle histoire du recyclage, n’était qu’une histoire après tout. Le triangle, un abysse où faire couler le poids des déchets. Il s’avère qu’on nous a menti, que le recyclage, loin de nous protéger, protège en réalité de nous. Comme un bouclier mis au point par une alliance des acteurs tout le long des industries fossiles et pétro-chimiques. Son but : empêcher à tout prix les tentatives de régulation des plastiques. Et pour ce faire on ne compte pas. Grattez un peu et vous découvrirez vite que l’Indien qui pleure est une production plastique lui aussi. Créé pour distribuer la faute à parts individuelles et ainsi détourner l’attention du rôle central des producteurs. Et quand il est devenu obsolète, on l’a abandonné au profit de l’histoire du recyclage, soigneusement élaborée durant plusieurs dizaines d’années.
Cui Bono? Nemo, vere
(– A qui profite le crime ? A personne en fait)
Pendant ce temps, une menace noire s’agite sous la surface. Le temps et le rayonnement solaire ont rempli leurs sombres offices et initié la dégradation du plastique en infimes particules. La pluie et le vent ont pris le relais, et les ont propagé dans tous les recoins de la Terre, du sommet de l’Everest à la fosse des Mariannes. Les micro et nanoplastiques se sont invités sur la planète, et ils nous faut désormais les accueillir, à corps ouverts. Car ils ont fait leur chemin à l’intérieur de nous, dissimulés dans l’air que nous respirons et dans l’eau et la nourriture que nous absorbons.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, ils sèment les graines de la terreur chimique. L’industrie du plastique a assez joué les apprentis sorciers, matérialisant plastique après plastique et sculptant leurs capacités selon nos désirs les plus fous. L’heure est venue d’en payer le prix de notre propre chair. Les milliers d’additifs, les phtalates, les bisphénols, les PFAs et les agents ignifuges utilisés en toute insouciance pour stimuler la corne d’abondance flottent désormais en toute liberté. Ils attirent dans leur sillage d’autres composés chimiques et des polluants pour former des structures aussi inédites qu’imprévisibles. A l’instar des radiations et d’autres poisons créés par les humains, elles ont aussi le potentiel de changer l’essence même de notre nature, en commençant par les systèmes hormonaux et reproducteurs. Voilà une partie infime de ce qui pourrait arriver.
Nous avons mis en mouvement des forces qui dépassent notre entendement et la recherche doit encore découvrir l’étendue des dégâts.
Les flèches ont disparu, mais le discours reste le même
C’est donc l’ignorance qui doit alimenter la résistance implacable de la coalition du plastique. Ou ont-ils fermé les yeux sur les risques en attendant une solution technologique ? Une chose est sûre néanmoins, en ce qui concerne le stratagème du recyclage plastique. Le discours adopté par les faiseurs d’opinions fait l’apologie d’une pratique qui nous expose à un grand danger, beaucoup plus sérieux mais commodément moins tangible. Et tandis qu’on nous vend une rédemption par le biais du plastique recyclé, on claque la porte au nez de la plus évidente des solutions ; cesser d’en produire davantage. Nous sommes confrontés à une crise morale, où le recyclage du plastique est brandi comme un nettoyeur de conscience pour perpétuer notre mode de vie. Tant que ce triangle, et les non-dits qui viennent avec, nous feront croire que nous agissons pour le bien commun, la production de plastique vierge continuera de grimper, bien cachée derrière l’écran de fumée du recyclage. L’usage unique continuera de prévaloir comme paradigme industriel, les décharges continueront de monter, les poissons d’ingérer du plastique, les plantes d’en absorber et l’intoxication du vivant accélèrera.
25 ans ont passé dans un siècle qui devait voir l’avènement des voitures volantes. Mais les rêves peuvent être trompeurs. Le plastique est, en grande partie, un rêve dégénéré. Un sérum miracle qui a dopé la croissance d’une économie prédatrice affamée de vie, sous toutes ses formes. L’humanité est jeune et nous sommes voués à commettre des erreurs, aussi colossales soient-elles. Ce que nous pouvons faire, devons faire, c’est en tirer des leçons et passer à la suite.